Shangri-La, le calme du dernier instant avant l’explosion finale
En 2016, le dessinateur français Mathieu Bablet signe cette BD de science-fiction baignée de lumière et de contrastes, dont les dialogues minimalistes invitent à une réflexion existentialiste sur un monde post-apocalyptique soumis à une techno-dictature tournée vers le consumérisme.
Aujourd’hui, nous vous proposons un roman visuel à grande valeur esthétique et philosophique, non seulement pour ce qu’il montre – un monde en décomposition – mais aussi pour la façon dont il le montre – de beaux contrastes entre intérieurs oppressants et extérieurs dans des espaces de nature infinie – et pour l’opportune sobriété de ses dialogues. C’est justement ce qui rend la traduction de ses textes encore plus difficile : un minimalisme verbal schématique subordonné à la primauté d’une image stylisée et profuse, avec des clins d’œil discrets à des dystopies artistiques comme Blade runner (R. Scott, 1984) ou Le Meilleur des mondes (A. Huxley, 1932).
Shangri-La
Shangri-La est le verso d’une société parfaite, l’opposé du Shangri-La/paradis sur terre du célèbre roman de science-fiction de James Hilton. Cette BD raconte l’histoire futuriste de la société humaine confinée dans un gigantesque vaisseau spatial en orbite autour d’une planète Terre détruite par l’humanité et désormais inhabitable. Au lieu d’un récit élégiaque sur les débuts idéalisés de la vie humaine, nous sommes face à l’histoire crépusculaire d’une humanité qui a tout brisé, tout perdu, et où le langage ne sert même plus à établir des ponts. Cette ambiance claustrophobique marque une fin d’époque menacée par des émeutes, des expériences génétiques sur des personnes et le délitement de la société.
On pourrait considérer cette œuvre comme une énième dystopie nous avertissant de l’abîme vers lequel notre espèce se dirige en détournant le regard, si ses compositions n’étaient pas d’une extraordinaire beauté. Entre somptuosité chromatique et fractalisme, le lecteur glisse naturellement vers une sensation d’étrangeté intérieure, celle de se retrouver hors de son substrat naturel. L’auteur parvient ainsi à transmettre une vision initialement fataliste et paralysante de l’avenir de l’humanité, d’une beauté paradoxalement stimulante et émouvante et qui s’appuie sur l’humanité et la sensibilité de certains de ses personnages. Ce regard est, à tout le moins, une proposition esthétique et éthique d’adieu à la vie, mais il apparaît aussi comme l’embryon qui réveillera l’Homme de son cauchemar, en l’éloignant de sa perdition. Le succès de cette œuvre a été immédiat au concours d’Angoulême. Elle a déjà été traduite en 9 langues.
«Qui peut lire des siècles d’Histoire et ne pas en refermer le livre, las d’avoir lu les mêmes choses à des dates différentes ? »
León Felipe
Lisez des livres: utilisez le passe-partout qui ouvre toutes les portes
Depuis que le monde existe et que les gens y vivent et le parcourent, les mêmes choses se sont fondamentalement toujours produites, une génération après l’autre. Les livres racontent tout avec leur voix sans hâte, et ce depuis des temps immémoriaux. La littérature est le microscope minutieux et infaillible qu’a inventé l’être humain pour s’observer dans le miroir de sa conscience sans pouvoir détourner le regard. La vérité kaléidoscopique de la littérature hypnotise comme un abîme et libère comme celui à qui il pousserait des ailes. Vous souhaitez être informé ? Lisez des livres. Vous aspirez à comprendre l’actualité au-delà du déguisement qu’on lui fait revêtir ? Lisez des livres. Vous avez l’impression d’être une marionnette dans le troupeau crédule et indistinct des jours ? Lisez des livres.
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